On entend beaucoup parler ces derniers mois d’une pratique japonaise, qui permettrait d’obtenir du bois, sans avoir à réduire le nombre d’arbres d’une forêt. Aussi intrigante qu’ancienne, puisque cette méthode est vieille de plus de 8 siècles, elle permettrait d’accéder à un certain nombre d’avantages : le Daisugi.
Obtenir plusieurs arbres à partir d’une souche
Littéralement table de cèdre en langue française, le Daisugi a été créé au XIIIe siècle, pour apporter une solution aux problèmes architecturaux au Japon. Pendant cette période, le peuple japonais était adepte de la tendance du Sukiya-Zukuri, qui consiste à prôner une utilisation de matériaux naturels pour construire et décorer des habitations. La seule limitation trouvée à cette mode était alors sa grande consommation en bois.
À cette époque, pour répondre à la grande demande en bois, mais surtout palier au manque d’espace dans les forêts pour planter de nouveaux arbres, est apparue une technique qui consistait à se servir de la souche d’une certaine espèce d’arbres, les cèdres du Japon, pour accueillir une dizaine à une vingtaine de nouveaux troncs d’arbres.
À cette époque, pour répondre à la grande demande en arbres, mais surtout pallier le manque d’espace dans les forêts pour planter de nouveaux arbustes, est apparue une technique qui consistait à se servir de la souche d’une certaine espèce d’arbres. Les cèdres du Japon ont ainsi été désignés pour accueillir une dizaine à une vingtaine de nouveaux troncs d’arbres, génération après génération. La technique consistait alors à tailler les pousses des cèdres de manière à conserver uniquement celles qui se développaient à la verticale. L’on obtenait ainsi une sorte de bonsaï géant avec de longues tiges qui pointaient vers le ciel, un résultat certes peu naturel, pourtant très utile pendant cette période pour édifier les nouvelles charpentes ou en tirer des matériaux de construction.
Produire du bois solide
La technique du daisugi a permis à certaines régions montagneuses japonaises de répondre à la demande en bois de leurs habitants. En effet, la plantation d’arbres destinés à la récolte du bois ne pouvant se faire sur des pentes abruptes, il fallait optimiser au mieux l’exploitation sur les terres droites qui permettaient aux cèdres de se développer. La technique a ainsi permis de produire du bois qui était à 140 % plus flexible que le bois de cèdre ordinaire, déjà réputé pour ses qualités. Le bois obtenu était aussi plus solide grâce à une densité supérieure à 200 % par rapport aux autres bois employés en construction à cette époque. Il était entre autres dépourvu de nœuds et parfaitement uniforme.
Construction de l’alcôve de Tokonoma
La popularité de la technique au XIIIe siècle a amené de nombreux architectes à s’intéresser au daisugi. Ainsi les « Kitayama Maruta » pour désigner les troncs issus de la production de bois grâce à la technique dans la région du même nom étaient privilégiés dans de nombreuses constructions dont l’alcôve de Tokonoma.
Ce petit espace au Japon regroupe des maisons traditionnelles qui sont utilisés pour exposer certains objets esthétiques. On y retrouve généralement des parchemins saisonniers, des arrangements floraux encore appelés Ikebana, ainsi que de nombreuses autres formes d’art. En impliquant les Kitayama Maruta dans la construction de cet espace, l’architecte en charge a apporté une conception originale à l’alcôve. De manière générale, les piliers principaux comme annexes de ces structures doivent être solides, ce qui force l’utilisation de bois plus larges et plus robustes. Grâce au Kitayama Maruta, l’alcôve de Tokonoma peut profiter d’une structure solide tout en permettant un maximum de visibilités pour les convives.
Si ce type de bois était aussi très apprécié au Japon, c’était grâce à un processus de culture particulièrement apprécié par le maître du thé Sen-No-Rikyu qui a participé au perfectionnement de la culture Cha-No-Yu au Japon.
Collecter du bois sur près de 300 ans
Pour éviter d’accélérer le processus, et ainsi obtenir un rendement optimal dont le résultat était plus impressionnant que les bois coupés sur les pousses standard, les communautés ont mis en place un entretien qui devait avoir lieu tous les deux à quatre ans. Les arbres obtenus grâce à la pratique se développant plus rapidement que les autres, il fallait veiller à ce que les troncs ne gagnent pas en largeur, et qu’ils ne changent pas d’orientation en se développant. L’entretien permettait ainsi d’obtenir de longs arbustes dénudés qui disposaient seulement de quelques feuilles à leur sommet.
Les nouvelles pousses devaient ainsi être entretenues pendant une vingtaine d’années avant d’être coupées, pour laisser la place à de nouvelles pousses. Les cèdres japonais étant connus pour leur longévité, la méthode permettait d’obtenir des pousses pendant 3 siècles au moins sur le même arbre. Aujourd’hui encore, on retrouve de nombreux cèdres qui ont servi de souches pour le daisugi dans les forêts aux alentours de la ville de Kyoto.
Dans la région du Kitayama, ces arbres peuvent atteindre jusqu’à quinze mètres de diamètre pour certains. Toutefois, la pratique a disparu avec le temps, et les cèdres ne sont plus que des arbres de jardin qui sont privilégiés pour leur grande taille et leur apparence élégante. Dans certaines régions industrielles, le daisugi a permis au fil du temps d’augmenter la production de charbon avant de laisser complètement la place au gaz naturel.
Résoudre le problème de la déforestation
Remise sur le devant de la scène, la méthode permettrait de répondre au problème de déforestation auquel font face les plus grandes réserves forestières actuelles. De fait, les populations et leurs besoins grandissants font intervenir toujours plus de bois. L’expansion agricole, l’urbanisation et les projets de constructions d’infrastructures nécessitent de plus en plus d’espaces qui viennent rogner les espaces naturels. La méthode s’inscrirait ainsi dans une logique qui permettrait d’atteindre les objectifs humains sans avoir à couper plus d’arbres qu’il n’en faut. Par ailleurs, les jeunes pousses obtenues pendant le processus d’élagage seraient d’excellentes boutures à replanter dans le cadre de projets de développement des régions forestières.
Partagées en masse sur les réseaux sociaux, les informations sur la pratique font de nombreux adeptes et le daisugi pourrait bientôt revoir le jour dans certaines forêts européennes ou l’espèce des cèdres japonais a été introduite naturellement. De même, certaines espèces de hêtres et de chênes ont été sélectionnés pour assurer l’introduction de la pratique sur le Vieux Continent. En permettant de répondre à la demande en bois, tout en limitant l’espace réservé à cette pratique, le daisugi pourrait bien représenter une solution pour reverdir la Terre et reconstituer ses grands espaces forestiers.